mercredi 10 juillet 2019

Oisive



Photo Maite Soler




Ce n’est pas simple de prendre une vraie pause. Avons-nous le droit d’être inutile? Nous accordons-nous ce repos? 
Je fais partie de ceux qui veillent à ne pas être débordés, pourtant, j’ai du mal à m’arrêter complètement. 
Je suis issue d’un milieu où il est primordial de servir à quelque chose où quelqu’un. On attend la retraite toute sa vie de travailleur et elle se révèle bien décevante. On y meurt, on y lutte contre la maladie, on s’y ennuie, on y tombe en dépression… Oui, car il n’est pas si facile de ne plus être «productif» quand nous avons été éduqués dès notre plus jeune âge à vivre au rythme d'un employé! 
Il n’y a pas longtemps, je parlais avec un copain du revenu universel. Que ce soit réalisable ou non, l'idée m’intéresse et j’aime lancer le sujet comme ça, l’air de rien, parce que je sais ce qu’il remue chez l’autre. Il ne faut pas plus de quelques phrases en général pour arriver au coeur de ce qui fâche: si les gens sont payés à ne «rien faire», ils ne seront plus "utiles" à la société. 
Comme si tout travail salarié faisait de nous des personnes utiles aux autres. Nous vivons dans un monde où le vrai service que l’on pourrait rendre à la planète serait de produire (beaucoup) moins. Pourtant, la "valeur travail" continue à être érigée en modèle!
On touche à un point sensible quand on imagine une société où nous ne serions plus forcés de «travailler» au sens où on l’entend aujourd’hui. Il y a une grande peur collective de la paresse. Nous luttons contre elle toute notre vie, parce qu’il est si difficile d’aller tous les jours travailler qu’il faut nous accrocher à nos principes et nous convaincre qu’on est du côté des gens biens quand on bosse.
Je fais beaucoup (voyez, j’éprouve le besoin de vous rassurer!), pourtant, j’ai assez peu souvent le sentiment de travailler. Ce que j’appelle «travail», c’est ce que je fais en ayant l’impression d’une moins grande liberté, d’un choix moins total et, du coup, d’un enthousiasme altéré. 
Mon idée de la réussite, c’est de consacrer le moins de temps possible à un job et le plus de temps possible à la joie. Et je m’y emploie de tout mon coeur. Je fais mes choix, je prends mes risques et je n’enlève rien à personne. Je ne suis pas moins utile qu’un banquier ou qu’un marchand de camelote. Si nous dressions la liste des métiers vraiment utiles à la société, nous verrions qu’ils ne sont guère nombreux et qu’ils sont loin d’être les plus valorisés en terme de salaire… 

Alors, je contribue quand je peux, si je peux et comme je veux. Le droit de disposer de ma vie, je l’ai gagné à la naissance. On l’oublie parfois, mais, vraiment, tout le monde a le droit de ne servir à rien d’autre qu’à être lui-même.















Bertrand Belin , l'inutilité en beauté